Le tabac hier à Champagné-Saint-Hilaire

Le tabac hier à Champagné-Saint-Hilaire

 

De 1945 à 1970 Par Pierre Rossignol et de 1970 à nos jours Par Olivier Pin

 

 

Champ de tabac                    Photo O.P

 

 De 1945 à 1970 par Pierre Rossignol   

 

Dans un siècle, qui se souviendra qu’au sortir de la guerre 1939-45, pour des raisons économiques, un engouement avait pris les Champagnois ? « La culture du tabac » !

 

Qui se souviendra du Dragon-vert, du Burley, du Paraguay, et de toutes les pratiques culturales que les producteurs de Champagné ont très rapidement maîtrisées. Des termes inconnus étaient le lot quotidien des dialogues sur la place, lors de la Saint Gervais : écimer, ébourgeonner, épamprer ; les feuilles basses, médianes, de têtes ; les guirlandes, les manoques, les balles, l’enfileuse.

 

C'est un exemple qui montre qu’en 60 ans on peut voir apparaître et disparaître des activités humaines qui, judicieusement, ont enrichi la commune. D'autres exemples, dans le siècle passé, sont les chènevières produisant le chanvre pour la draperie, les contrats de fleurs pour les semences, les champs de menthe pour en faire de l’alcool, les fours à chaux pour amender les terres. De manière plus ancienne, il y a la métallurgie et les tuileries ayant fait la prospérité de Champagné.

 

Les planteurs : des pionniers.

 

Dès 1945 des agriculteurs se sont intéressés à la culture du tabac. Leurs exploitations couvraient entre 15 et 30 ha, sur lesquels ils pratiquaient la polyculture. Les rendements, avec l’aide des nouveaux engrais, s’étaient améliorés, et les contrats de tabac de 10 à 30 ares ne compromettaient pas le volume de la récolte traditionnelle. Un autre facteur concourait à l’opportunité de cette culture :

 

le baby-boom !

 

En effet, les fermes comportaient des familles de 3 à 6 enfants qui, dans les années 50/60 pouvaient aider à cette activité agricole nouvelle. Il est vrai que le courage ne devait pas manquer pour se lancer dans cette aventure et toutes les générations donnaient un « coup de main ». La main d’ailleurs était l’outil principal.

 

Le pionnier à Champagné fut M. Amédée Déranlot de Percejault, qui avait essayé outre le tabac, de faire des contrats de fleurs. Il fut rapidement suivi par M. Gagnaire de la Combaudière. En 1947, indique Michel Peronneau, une vingtaine de planteurs s’organisait autour des conseils de M. Déranlot. Les contrats étaient très réglementés par la SEITA (Société d'exploitation industrielle des tabacs et des allumettes) et M. Germain Gagnaire, alors secrétaire de Mairie, distribuait parcimonieusement le droit d’accès à ces contrats prometteurs.

 

Les planteurs alors, reçoivent le journal « La voix des planteurs » d'où ils tirent les renseignements techniques utiles aux bonnes pratiques de cette culture innovante.

 

 

 

M. Marcel Bellebault  devant son champ de tabac en 1950   Photo Denise Boutet (Bellebault)

 

Pourquoi du tabac à Champagné :

 

1°) Le sol :

 

Le sol jurassique moyen et supérieur allié aux terres rouges à châtaignier a vite été repéré par les ingénieurs de l’institut de Bergerac. Ces terres profondes permettent l’enracinement de la plante très gourmande en éléments nutritifs naturels, minéraux, végétaux, organiques, sans compter les apports d’ammonitrates et d’engrais phosphoriques et potassiques.

 

La qualité drainante du sol argilo-calcaire facilite un labour profond efficace pouvant conserver les intrants durant toute la croissance du plant de tabac. La structure du sol de Champagné (sur Champagné bourg et au sud) était idéale pour les spécialistes dans le département.

 

Le tabac se développait difficilement dans les terres de brande, au prix seulement de surdosage d’engrais

 

2°) Le climat :

 

Le tabac est aussi très gourmand en eau. D'une part, la pluviosité, moyenne et régulière, convient bien à une pousse croissante des feuilles. D'autre part, la structure du sol à Champagné a la particularité d’avoir des sous-couches argileuses retenant l’eau durant la période du printemps et de l’été. La plante demande aussi durant sa croissance qui dure 100 jours, une température moyenne de 27°C.

 

3°) La main-d’œuvre :

 

Au sortir de la guerre tout le monde retroussait les manches pour relancer l’économie avec des notions nouvelles. La mécanisation avait changé le travail des champs. Les longs binages de printemps à la piarde étaient remplacés ou allégés efficacement par les engins agricoles. Du temps se libérait à la fin du printemps, et la plantation pouvait s’effectuer dans de bonnes conditions. Les moissons étant mécanisées, la fin de l’été s’en trouvait moins chargée et la cueillette des feuilles mettait toute la famille dans le champ. Les fermes n’étant pas extensibles et plutôt d’une surface moyenne, l’arrivée d’une activité supplémentaire était gérable.

 

Dans les années 50, ce furent les anciens qui fournirent la main-d’œuvre supplémentaire. Le travail était certes pénible, mais on pouvait le faire à son rythme, la majorité des tâches étant manuelles. Dans les années 60, le baby-boom aidant, une main d’œuvre solidaire mais râleuse vint prêter main forte à leurs parents ;

 

  • J’en étais !

 

En fait toutes les personnes qui passaient à la ferme étaient embauchées (famille en vacance, touristes, etc.), la période de formation étant inutile tant l’activité était simple.

 

Les techniques :

 

Lorsque l’agriculteur avait acquis le statut de planteur, matérialisé par le contrat passé avec la SEITA, il recevait des graines en fonction de la surface de plantation pour laquelle il s'était ebgagé, et un abonnement au journal « La voix des planteurs » ou il retirait le savoir faire qu’avaient mis en applications d’autres régions productrices de tabac. Nous avons connu sur Champagné, trois variétés de tabac. Le Dragon-vert et plus ou moins à titre expérimental le Burley et le Paraguay. L’aspect de chacun était différent.

 

1°) Les semis :

 

Le planteur était en charge de ses semis. Dans les premières années la technique était simple et il fallait seulement semer les graines dans un châssis étanche et chargé d’un terreau de bonne qualité. La graine étant minuscule -un demi-millimètre de diamètre, la plus petite graine après celle de l’orchidée- il fallait ruser pour équilibrer le semis. Certains utilisaient du sable ou de la cendre tamisée pour maîtriser la graine.

 

On voyait souvent le planteur, à genou au-dessus de son semis avec une pince à sucre, arrachant précautionneusement « la mauvaise herbe » naissante. Il fallait aussi lutter contre les courtilières qui aimaient ce milieu humide et chaud, ainsi que les maladies cryptogamiques transmises par le sol.

 

Le plant de tabac sortait environ deux semaines après le semis si bien que les herbes étant plus précoces, l’exercice était délicat. Surtout que l’arrosage trois fois par jour et le maintien à une température constante avait déjà mobilisé le planteur durant ces mois de fin d’hiver au climat variable.

 

La solution vint dans les années cinquante par le brûlage de la terre. Il suffit de creuser une tranchée, de la recouvrir d’une plaque de métal ou de tôle, et d’y aménager dessous un feu. Le terreau était alors brûlé sur la plaque, le débarrassant des graines, des parasites et des bactéries. Le milieu devenait vierge et le semis était réussi. La neutralisation à la vapeur fut aussi utilisée.

 

Croquis de four de brûlage de la terre                             Croquis P. R

 

2°) La plantation :

 

Deux à trois mois après le semis venait la plantation des plants sur une terre préparée. Cette préparation consistait d'abord en un labour profond, l’automne précédent, d'un sol abondamment couvert de fumier. Puis, avant la plantation, on ameublissait le terrain tout en y ajoutant les engrais selon sa nature, et les insecticides qui allaient détruire les vers jaunes et gris, ainsi que les courtilières et les pucerons. Si les terres étaient de groie, les intrants étaient différents par rapport à une terre rouge.

 

Les cotes de plantation étaient réglementées. Les pieds de tabac sont espacés de 35 cm les uns des autres: Les rangs peuvent être équidistants de 73 cm ou jumelés avec un écart de 60 cm et une allée de 86 cm.

 

Au début on utilisait une chaîne cotée à l’espacement des plans pour une plantation manuelle. Ensuite sont arrivées les planteuses qui étaient utilisées aussi pour les betteraves.

 

Le nombre de pieds plantés était compté par un contrôleur de la SEITA, au pied près. S’il y avait 2 pieds de trop, il les arrachait. Les planteurs à Champagné, étaient très méfiants sur le rôle du contrôleur qui arpentait leur champ.

 

Au bout du champ, le contrôleur, même à l’improviste, vérifiait le contrat papier et la traçabilité de la plantation qui était dans une boîte, souvent de cirage, à l’abri sur un piquet.

 

3°) Les aléas:

 

L’amendement étant important, les plantes parasites se développaient rapidement mais le tabac ne supportait pas la concurrence. Il fallait donc régulièrement nettoyer la plantation.

 

La grêle était l’ennemi du planteur. Une seule grêlée et la récolte était finie. Des assurances furent mises en place afin de palier à cette catastrophe pour le planteur.

 

Les principales maladies étaient le mildiou et le thielavia. Les traitements devaient être violents et dispensés d’urgence car l’ensemble de la plantation était vite contaminé.

 

Tabac après écimage                      Collection Visoterra

 

4°) L’écimage :

Afin de faite prospérer les feuilles qui seront prélevées on pratiquait l’écimage, c'est-à-dire qu’on coupait la tête du plan à une certaine hauteur ou en comptant les feuilles. Cette action faisait rallonger les feuilles et favorisait la maturation. L’inconvénient était le développement de bourgeons à la base de la feuille, qui consommait la sève. On y remédiait, au début, par un ébourgeonnage manuel. Puis ensuite, on a utilisé des huiles (appelée « Stop-bourgeon ») brulant le bourgeon mise en premier lieu à la burette et ensuite directement par une pince à écimer faisant la double fonction. Nous en profitions pour retirer les petites feuilles basses proches du sol. Cela s’appelait l’épamprement.

 

5°) La cueillette :

On commençait par les feuilles basses (3 feuilles environ par pied) que l’on mettait sur des sacs en toile de jute disposés sur la charrette et qu’il fallait rapidement rentrer sous le bâtiment d’enfilage pour que le tabac ne fermente pas. Il ne fallait pas laisser au soleil une feuille cueillie car elle brûlait.

 

La saison étant d’été, je me souviens qu’avec les shorts nous avions des couches de gomme sur les cuisses et qu’il fallait progresser dans les rangs, les cheveux tout collants, sous les feuilles supérieures,.

 

Les feuilles médianes (trois ou quatre) étaient prélevées plus tard, et les feuilles de tête (deux ou trois), en dernier dans la saison qui pouvait s’étaler sur un mois.

 

6°) L’enfilage :

 

L’enfilage du tabac à la main en 1950                      Photo Denise Boutet (Bellebault)

 

De gauche à droite : Paul Ferron, Eugénie Ferron

Colette Demairé (enfant), Jeanne Vergnaud,

Denise Boutet, Gisèle Desgranges (vacancière)

Jeanne Bellebault, Hubert Vergnaud, Jean Vergnaud

 

Au début l’enfilage s’effectue à la main avec une aiguille et de la ficelle de chanvre. Mais au fil des années il s’avéra que lors d’hivers humides, la ficelle pourrissait et les guirlandes se coupaient faisant des amas de feuilles inextricables.

Les guirlandes de 50 ou 60 feuilles étaient montées au bout d’un bâton avec une pointe au bout afin que le pendeur en équilibre sur un madrier installe, en faisant un nœud solide,  tous les 15 à 20 cm, ces alignements à sécher.

Vint ensuite la machine à enfiler (Fabricant Louzanne ou Muller).

Poste d’enfilage en 1960                              Photo P.R

      

Enfileuse Louzanne (Gabriel Thébault)                           Enfileuse Muller (Victor Rossignol)            Photos P.R

 

Très vite la ficelle de chanvre fut changée pour une autre qualité en sisal. Toutes les pièces de la ferme (greniers, fenils, granges, garages) étaient occupées par les guirlandes de tabac. On utilisait un crochet en aluminium pour faciliter la pendaison sur les fils.

Le tabac au séchage           Collection privée http://nicomel.my.tripper-tips.com

 

 L’espace entre deux rangées de fils était de 80 cm afin de laisser passer l’air de séchage. J’ai encore le souvenir des rentrées du lycée, chaque semaine en étant accueilli en premier lieu par cette odeur dans la maison. Elle n’était pas désagréable mais elle était prégnante. Plus tard des séchoirs en bois dédiés au tabac furent construits.

Un séchoir en état à Romagne                                           Photo P.R

 

7°) Le manoquage :

Au cœur de l’hiver, durant les veillées, l’énoisage avait été remplacé par le conditionnement du tabac. Nous désenfilions les guirlandes et les triions pas catégories et longueurs. On entendait par catégorie la qualité des feuilles séchées. L1 pour le tabac de haute qualité (tabac souple et blond), L2 pour le tabac de haute qualité mais avec défauts (inégal ou percé), L3 pour la feuille de qualité moyenne, P (au poids) pour la qualité faible, HC (hors cote) pour le tabac de mauvaise qualité (mal séché, noir, trop sec, etc.).

 

Ensuite par catégories, nous constituions des manoques de 25 feuilles, la 25 ème servant à ficeler la poignée. Au bout d’une heure de travail, je me souviens d’avoir compté instinctivement, et au recomptage d’avoir retrouvé à chaque fois mon compte exact.

 

Ensuite les manoques étaient mises en bottes parallélépipédiques, pressées et ficelées, tête-bêche, les queues de la feuille à l’extérieur.

 

8°) La livraison :

Un moment important était la livraison qui s'effectuait à Couhé puis au Coureau. Elle se tenait durant deux mois pour la région. Chaque planteur était convoqué à son tour. Les acheteurs de la SEITA étaient présents et évaluaient, sans l’indiquer, sur le quai d’embarquement pour Bergerac, le revenu auquel le planteur pouvait prétendre. En fait, les anciens planteurs, disent que la SEITA avait une enveloppe au kg à distribuer et ne tenait pas vraiment compte de la qualité. La preuve en est qu’il évaluait le matin et fournissait le chèque aux planteurs l’après-midi. Mais les revenus étant importants et c’était, pour les planteurs, toujours une occasion de fêter cela dans les deux bars du Coureau qui étaient prospères en ce temps-là.

 

Champagné, leader des plantations de tabac dans la Vienne:

 

Si en 1947 on comptait 20 planteurs, en 1957 on n’en comptait pas moins de 130 sur la commune, ce qui veut dire que quasiment tous les foyers faisaient du tabac. Si au début les essais avaient été faits par les agriculteurs, ensuite tous les corps de métiers pratiquaient la culture du tabac. Et d’abord les retraités qui avaient trouvé là un revenu supplémentaire aux maigres retraites.

 

Je me souviens que tous les retraités nombreux à Fougeré venaient rencontrer mon père pour des conseils de pratique de cette production. Nous trouvions aussi des artisans qui, durant le week-end géraient leur exploitation de tabac sur des terres qu’ils avaient parfois louées. Leurs enfants durant les périodes de congés scolaires fournissaient la main d’œuvre avec les épouses.

 

Si nous regardons les statistiques nous constatons qu’en 1946 les planteurs des communes de Champagné et Romagne ne représentent que 1,5 % des communes du département. En 1949 Champagné à lui seul représente 1,80 % des planteurs du département. En 1957 Champagné représente 2,25 % du nombre des planteurs de la Vienne.

 

De plus Champagné, en 1957 fait un record de production. Alors que la moyenne nationale pour 35 ares est de 2266 kg, Champagné obtient 2950 kg. Toujours en 1957, Champagné a produit 70 tonnes de tabac pour un revenu de 28 420 000 Francs.

 

Pourtant, 80% des plantations n’exploitent que de 5 à 25 ares, seulement 15 % sont de 25 à 45 ares et 5% de plus de 45 ares. Les exploitations de plus de 1 ha sont celles d’Abel Gauvreau, Amédée Déranlot, Marcel Vergnaud, Robert Babeau, Maurice Gourdeau et plus tard, Jean Pierre Marot et Thierry et Olivier Pin.

 

Carte des revenus en 1957

 

Les premières enfileuses électriques apparurent faisant gagner un temps précieux

 

A Champagné, une majorité des planteurs pratiquent l’assolement triennal. Celui-ci fut aussi une clé du succès de la production Champagnoise, tant en ce qui concerne le rendement que la protection contre le mildiou.

 

Les techniques s’affinèrent, mais la qualité était l’apanage des planteurs de Champagné. Comme celle-ci était mal reconnue, le prix au kg a baissé et la rentabilité ne s’obtenait plus que dans les grandes exploitations. Par conséquent, dans les années 70, de nombreux planteurs ont arrêté la production.

 

Un renouveau :

 

Maurice Gourdeau nous explique que si, à l’approche des années 70 des planteurs ont cessé cette activité, c’est en premier lieu que les techniques changeaient et que de nouvelles normes ne permettaient plus de rentabiliser ce travail. En effet l’administration de la SEITA demandait une qualité supérieure, en préconisant d’utiliser de nouveaux séchoirs mieux adaptés, obligeant le planteur par souci de rentabilité à agrandir sa plantation. La main d’œuvre devenant aussi de plus en plus chère, les techniques devaient évoluer.

 

Avant les années 80 un nouvel hybride apparu, le PB D6 (hybride Paraguay Bell). Il était plus résistant à la maladie que les espèces primaires, était aussi plus adapté aux fumeurs car beaucoup plus fin de gout et moins chargé en nicotine.

 

Il permettait aussi le séchage sur pied. Ceux-ci étaient coupés à la faucheuse au niveau du sol, les pieds étaient directement acheminés au séchoir et accrochés, 13 pieds par liteaux suspendus à 40 cm d’écart.

Liteau pour suspendre les pieds de tabac           Croquis P.R

 

Ces liteaux étaient alignés, à hauteur d’homme, dans un séchoir tunnel en plastique. De ce fait, on pouvait traiter 5 à 6000 pieds par jour et 3 personnes parvenaient à conditionner 1 ha par semaine.

 

Le séchage était simple et consistait, par beau temps, à ouvrir les deux extrémités du séchoir le matin et de refermer le soir. Ainsi le séchage était homogène

 

Une fois sèche, on effeuillait la tige et on effectuait le triage en même temps. On conditionnait aussitôt les feuilles en balles prêtes à la vente. Il y avait peu de déchets et de feuilles abimées, assurant un tabac de grande qualité.

 

Si les techniques de conditionnement avaient changées, les techniques d’achat changeaient elles aussi. Les catégories n’étaient plus les mêmes. A = Feuilles homogènes de belle couleur et ayant une combustion facile. B = Feuilles un peu abimées ou de moins bonne combustion. Puis nous retrouvions le HC (hors catégorie) réservé aux techniques biologiques.

 

La SEITA avait toujours son monopole mais elle faisait acheter directement par des groupes étrangers qui venaient au Coureau, d’Allemagne, Hollande, Belgique, Pays des Balkans, etc. La combustion du tabac devient le critère, et une exigence principale.

 

Autour des années 90 ces acheteurs viennent directement commercialiser avec les planteurs, qui s’organisent en coopératives. Nous dépendions de celle de Neuville, la SEITA ne gérant que les documents administratifs. Des acheteurs planteurs sont désignés dans les régions. Maurice Gourdeau et Gabriel Thébault en font parti et déterminent avec les acheteurs étrangers le niveau de qualité. Les planteurs ne sont alors payés que plusieurs semaines après la livraison.

 

Rèf : La culture du tabac dans le département de la Vienne 1961, par Pierre MARCEL de l’institut de géographie de Poitiers.

 

Entretiens et écrits: Michel Peronneau, Maurice Gourdeau (planteurs)

 

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De la fin des années 1970 à nos jours par Olivier Pin

 

De ces temps héroïques, servis par une plante exigeante, que reste t il  aujourd'hui ?

 

La révolution industrielle et sociale est passée par là. Le tabac brun qui a sauvé des exploitations, leur apportant sa manne annuelle va peu à peu disparaître au profit du tabac blond.

 

Il faut s'adapter au goût du consommateur, celui là même qui a été formé par l'armée devient plus difficile à convaincre et la bonne vieille gauloise et la gitane maïs sont bien vite supplantés par de nouvelles cigarettes venues d’Amérique et au goût plus délicat. Du coup, les consommateurs changent et beaucoup deviennent des consommatrices, il faut alors aux producteurs changer leur fusil d'épaule.  Avec l'arrivée de ce tabac de Virginie s'ouvre l'ère industrielle de la culture.

 

Fini les petites surfaces, le séchage dans le grenier à tout faire, fini le « manoquage » des feuilles, les livraisons 3 fois par an au dépôt de Couhé de lots de 2 ou 300 kilos. Fini la belle couleur marron de la feuille, il faut produire des feuilles d'or, jaune à souhait et où le marron est devenu un défaut majeur. On est en 1979 et on se dirige désormais vers des unités de productions dimensionnées en fonction de la capacité de séchage, en général autour de 1 hectare. Car ce tabac là, il ne sèche pas à l'air libre mais dans un four où l'on contrôle tous les paramètres de température, d'humidité et de ventilation.

 

La mécanisation des années 80 :

A chaume, dans la ferme de la famille PIN, l'aventure commence en 1981. Il reste presque un hectare et demi de tabac brun qui est accompagné par un hectare de tabac blond de variété Virginie, aussi appelé VD.  Alors, on découvre, on apprend, on fait comme si c'était du tabac brun et là, c'est la grande désillusion. En effet, ce tabac est très peu exigeant en azote contrairement à son prédécesseur, et la luzerne, en place sur la parcelle deux ans avant à laissé un sol beaucoup trop riche. Le tabac pousse beaucoup, reste vert au champ et tourne plutôt marron dans les fours. De plus, il faut  ramasser 2 ou 3 feuilles à la fois, pas plus, mais passer presque toute la surface pour remplir le four, 9 fours à cueillir sur la saison, il faut du personnel extérieur et c'est long, surtout quand la qualité n'est pas au rendez vous.

 

Les autres voisins se lancent, il faut tirer les enseignements de ses erreurs ! L’'année 1982 voit la même surface être plantée, mais cette fois, pas de problème d'azote ni de maladie ! On fait toujours du traditionnel mais la récolte est bonne. L'été, assez humide a lessivé les sols et hormis l’excès d'eau qui contrarie les ramasseurs, c'est gagné, la culture est lancée.

 

 1983, c'est le doublement de la capacité et l'arrivée d'une drôle de machine. La cueillette à pied est très pénible alors, on s'aventure à bricoler un enjambeur de cueillette, avec trois roues de motoculteur et un moteur de moto bineuse. On espère venir à bout de cette corvée. C'est encore une fois sans compter sur les facéties du temps et du terrain, en pente, qui voit bien la machine descendre sans problème mais refuser obstinément de remonter dès que le terrain est un peu gras. Et il est gras souvent ce terrain car la plante a peu de besoins en engrais mais dévore toute l'eau qu’on lui apporte. Qu'importe, on fera mieux l'année prochaine. Il existe une autre voie de production de tabac blond. Il s'appelle le « Burley » et sèche de façon traditionnelle. Certains s'y risquerons mais les capacités de productions restent limitées, car la culture se mécanise moins bien, de plus, la récolte, fin Août, est rapide car elle est réalisée pied entier, mais il faut, après deux mois de séchage environ, cueillir les feuilles et les trier; le tout avec un paiement fin d'hiver. On reste dans une méthode traditionnelle, familiale, très développée dans le Périgord mais qui  trouve peu sa place sur nos exploitations céréalières du Poitou.

 

La table de triage                                   Photo O.P

 

En quelque sorte, c'est cela l'histoire du tabac sur notre secteur; des pionniers qui testent leurs inventions et les perfectionnent tous les ans pour faciliter un travail qui reste pénible. Des heures de cueillette, courbé en deux, avec des feuilles plein les mains, suivi de la confections de « peignes » qui embrochent 60 à 100 kilos de tabac vert qui vont sécher pendant 7 jours sur trois étages dans un four  pour  ressortir 6 à 8 kilos de matière marchande qu'il faut trier, tous autour d'une table de batterie. Certes, l'ambiance est là et on ne manque pas une occasion de bavarder ou de boire un coup  après avoir confectionner nos ballots de 20 kilos qui seront livrés à la coopérative, mais il faut aller vite car il faut cueillir toutes les semaines.

 

Et la machine s'emballe. Il faut produire plus car l'exploitation ne peut s'agrandir, et c'est 3 hectares qui sont plantés. Pour faire des économies sur les investissements, 4 agriculteurs se regroupent pour constituer une unité de séchage de 12 fours (soit 12 hectares) On fait une CUMA (coopérative d'utilisation de matériel agricole) où on sèche et on stocke en commun avec un atelier de triage individuel pour chaque exploitant car la main d’œuvre reste affiliée à chaque ferme. La récolte se mécanise, on sèche désormais dans des containers qui regroupent 6 « peignes » et sont transportés avec des transpalettes. Cette organisation permet de payer un salarié pour toute la saison pour surveiller le séchage. On est en 1987.

 

Les nouvelles techniques des années 90 :

Et le temps passe avec son lot d’espoir et de désillusions. 1992 et 1994 sont deux années mémorables puisque la grêle à frappé début août. Ce sont presque deux saisons de « vacances » sauf pour les salariés qui voient s'envoler le fruit de leur labeur et les espoirs de bulletin de paie. Les techniques évoluent et comme le prix du personnel saisonnier augmente, il faut investir pour contrôler les maladies et les bourgeons ou pour mieux irriguer. Car l'un des nerfs de la guerre, c'est la maitrise de l'eau. Chez nous, celle ci est puisée directement dans la rivière et ce milieu est particulièrement sensible aux pluies hivernales et aux périodes sèches. D'un enrouleur, on passe à deux pour ne plus irriguer que la nuit, c'est un gros effort à la fois financier et de travail car ces engins nécessitent une surveillance accrue. 1995, on cultive alors 8 hectares de tabac et c'est l'arrivée d'un enjambeur de cueillette moderne. L'ancien modèle, en service jusque là et bricolé maison a subit son lot d'amélioration annuelle mais la dernière campagne lui a été fatale.

 

L’enjambeuse à récolter les feuilles                      Photo O. P

 

Trop de frais pour le remettre en état et surtout pour supporter les nouvelles normes de sécurité pour les ouvriers. C’est un nouveau souffle pour la cueillette alors que le triage n'a que peu évolué. La deuxième innovation de l'année, c'est le semis flottant. 

 

Semis des graines de tabac sur plateau polystyrène                Photo O.P

 

Fini la corvée du petit châssis de plein air qu'il faut stériliser, bâcher et débâcher, arroser à l'arrosoir et surtout l'arrachage des plants un par un. Cette nouvelle technique permet de produire les plants dans une vaste serre. On utilise alors des plateaux en polystyrène à 240 trous dans lesquelles on met du terreau et on sème la graine de tabac avec un semoir. Les plateaux sont ensuite posés sur de l'eau  dans laquelle on apporte juste la quantité nécessaire d'engrais pour faire les plants. Il suffira juste, le jour de la plantation, de venir chercher les plateaux sous la serre et de les y ramener si le temps n'est pas de la partie.

 

 

Bain pour les semis enrichis d’engrais              Photo O.P

 

Cette méthode est une très grande avancée dans la culture car elle est malléable dans le temps et permet d'étager les plantations avec des plants qui se conservent plus d'un mois sans problème. De plus, on peut adapter sa surface à planter sans gros risque de perte ou de gaspillage.

 

Les plans prêts à la plantation                      Photo O.P

 

XXIème siècle, l’industrialisation d’une production :


2002, la canicule laisse des traces dans tous les organismes, il faut se dépêcher dès 6 heures pour ne plus être dans les champs après midi, et pourtant il faut trier l'après midi, dans le hangar avec des températures avoisinant les 40 degrés. Que de souvenirs !!! Et certainement pas les plus mauvais !

 

Les exploitations se restructurent et nombreux sont nos collègues planteurs qui jettent l'éponge ou partent à la retraite. Nous ne seront bientôt plus que deux dans le secteur, il faut de nouveau repenser le système. Cette fois, c'est l'ensemble de la chaine qui doit être revue, dès la plantation.  Une nouvelle planteuse 2 postes et 4 rangs fait son apparition.

 

Planteuse 4 rangs                         Photo O.P

 

De nouveaux fours d'occasion sont achetés pour faire face aux coups de bourre et la chaine de triage se simplifie. Il faut dire que le prix du tabac a baissé et, désormais, on se limite à ne trier que deux catégories: le bon et le mauvais. Fini le temps où l'on séparait le jaune du un  peu marron, ou du très marron et le vert lui aussi en deux classes. Il faut aller vite et les acheteurs l'ont compris.

Les fours de séchage                        Photo O.P

 

Nos ballots, ficelés comme des saucissons laissent place à des cartons de 100 à 130 kilos complètements palettisés. Tout se transporte avec le chariot élévateur et il faut toujours aller plus vite. Fini les ambiances d'équipes, les coups à boire au coin du champ pour discuter tranquillement ou la collation après le jour de livraison. La marchandise part de notre lieu de triage par camion complet de 33 palettes et sera acheté directement à l'usine (en Italie ou à Bergerac). Il n'y a plus de manœuvres pour porter, charger et décharger, des camions en plus ou moins bon état. Tout est rationalisé.

 

On franchit même un nouveau pas depuis 3 ans. La difficulté à irriguer nous a amenés à choisir un système d'apport par goutte à goutte, très contraignant en main d’œuvre pour la mise en place et le suivi, mais plus économe en eau. C'est le prix à payer pour pouvoir continuer. L'impossibilité de trouver du personnel performant après le 20 août oblige à passer à la récolte mécanique. La nouvelle machine cueille  les feuilles à la place des cueilleurs et on double les capacités de chantier grâce au séchage en vrac. Les deux exploitations travaillent main dans la main sur 16 hectares. Aujourd'hui, nos deux unités sont susceptibles de produire entre 50 et 60 tonnes de tabac.

L’effeuilleuse automatique               Photo O.P

 

Mais cette évolution nous entraine dans un système sans merci. Le tabac porte complètement son nom de plante industrielle. Avec 11 hectares à Chaume, nous faisons aujourd'hui figure d'amateurs. Les nouvelles unités qui se sont modernisées exploitent entre 25 et 100 hectares de tabac totalement mécanisé.

 

Souvenez vous de Champagné il y a maintenant 60 ans, c'était 130 planteurs et familles de planteurs qui vivaient de la culture du tabac. A ce jour, ce sont 75 planteurs qui adhèrent à la coopérative sur 5 départements et ce avec une restructuration entre coopérative qui arrive à grand pas. Quid de nos campagnes et de leur vocation sociale.

 

Nous sommes partis à Chaume d'une exploitation en polyculture élevage qui faisait vivre 3 couples et 2 salariés à plein temps sur 30 hectares pour arriver à vivre à 2 couples et 3 équivalent temps plein sur 130 hectares. Si nous ne l'avions pas fait, il y a très longtemps que ces surfaces auraient profité à la céréale et à l'agrandissement et il ne vivrait peut être même pas un couple sur cette exploitation.

 

Alors, il ne faut rien regretter mais toujours donner le meilleur de soi-même pour vivre avec des voisins, souvent déconnectés de notre monde agricole et de ses contraintes. Notre avenir passe par des productions de qualité, réalisées par des personnes passionnées qui vivent à vos côtés au quotidien. Si la course à la production est inéluctable, la plus grande richesse de nos campagnes réside dans ses hommes et dans l'intégration sociale de toutes les formes d'agriculture présentes dans nos campagnes. L'Agriculture ne peut se passer de ses Hommes, les Hommes ne pourront se passer de l'Agriculture.

 

Et demain ? Peut être que cette culture de tabac disparaitra mais elle devra être remplacée par une nouvelle production à forte valeur ajoutée sans quoi la restructuration sera inéluctable. Ou alors redécouvrirons-nous les vertus du commerce de proximité. L'avenir nous le dira.

 

 

Champagné-Saint-Hilaire, mai 2013