La noblesse champagnoise

L’état de noblesse est avantageux

La particule « de » avant un nom n’est pas forcément un signe de noblesse, et pourtant beaucoup de gens le croient et beaucoup ont couru après cette « friandise » selon le mot d’un contemporain de Louis XIV, un duc qui avait le toupet de parler ainsi des privilèges dont un noble jouissait. Car s’il n’avait pas du tout envie de bénéficier en cas de condamnation à mort d’une exécution rapide par décapitation à l’épée, au lieu du long supplice de la roue, le noble avait bien des droits avantageux que les roturiers ne partageaient pas :   les impôts directs,  taille personnelle sur les revenus, la taille réelle sur les immeubles, le noble en est dispensé ;  capitation et vingtième, des impôts extraordinaires pour payer les guerres de Louis XIV et Louis XV…le noble pouvait obtenir des décharges ; en revanche, il prélevait avec rigueur ses droits féodaux, le champart au moment de la récolte, la mainmorte sur la terre libérée par le décès d’un serf. Le noble disposait aussi de l’exclusivité sur les colombiers, sur la chasse, sur l’accès à certaines professions. Il exerçait parfois une basse et moyenne justice seigneuriale qui lui permettait d’envoyer en prison ou de faire payer des amendes. Bien sûr, il tenait le haut du pavé : sans être forcément très riche, il était fortuné, habitait un château au toit d’ardoise, il occupait avec sa famille les premiers bancs à l’église paroissiale quand il résidait, et son blason était inscrit sur l’armorial de France. 

D’ailleurs, si l’état de noblesse n’avait pas été « intéressant », beaucoup n’auraient pas été tentés de l’usurper. La pratique était tellement fréquente que le 13 janvier 1667, un arrêt royal ordonne que « tout particulier non noble qui aura pris la qualité de chevalier ou d’écuyer par un seul acte passé en justice, ou par devant notaire, sera condamné en l’amende d’usurpation. »  Et trois Champagnois se font épingler.  Le 28 décembre 1666, Claude de Pio, sieur de la Brousse du Breuil, et le 10 novembre 1667, René d’Arcemale, sieur des Chaumes doivent payer 500 livres. François Berland, sieur de la Carrelière, contrôlé les 16 septembre 1671 et 9 février 1672 est taxé pour 660 livres. Deux d’entre eux pouvaient se croire pourtant à l’abri de telles sanctions : François Berland  est alors âgé de 71 ans, et il a la fonction de Sénéchal de la châtellenie de Champagné-Saint-Hilaire. René d’Arcemalle, lui, venait d’être inscrit sur la liste des nobles de la généralité de Poitiers qui avaient reçu les ordonnances de confirmation.

Résidents ou propriétaires à Champagné-Saint-Hilaire, les nobles des XVII et XVIIIe siècles présentés ici sont authentiques. On peut suivre leur généalogie, ils ont leur blason, le cadastre napoléonien de 1812 laisse des traces de leurs demeures.


Présentation des nobles de Champagné-Saint-Hilaire

Issus de Louis, seigneur du Langon (Vendée), les d’Arcemalle  ont donné deux branches à Champagné-Saint-Hilaire, les d’Arcemalle de Grandchamp par Jean Baptiste et ceux de Chaumes par Adam. Le premier devint seigneur à Champagné-Saint-Hilaire sans doute par son mariage avec Jacqueline du Pin, fille de Jeanne du Val de Grandchamps. Le second  laissa le titre à son fils René qui eut deux enfants hors mariage, Gabrielle née le 8 mars 1657 et  N. un enfant  baptisé à Champagné-Saint-Hilaire le 7 octobre 1680.  Le dernier écuyer de Grandchamps baptisé à Champagné-St-Hilaire le 21 novembre 1702, fut perruquier et finit sa vie à Lussac les châteaux le 25 octobre 1749.Sur le plan napoléonien de 1812, la demeure de Grandchamp apparaît avec son entrée par les dépendances, ses deux ailes et un petit plan d’eau, agrandi aujourd’hui. Sa démolition a épargné une décoration sculptée qui montre l’attachement des d’Arcemalle à la religion.

Claude de Piot, sieur de la Brousse du Breuil, serait né en 1634.  Il épouse Catherine Cornuault qui lui donne deux filles. Il marie  Anne le 23 novembre 1670, alors qu’elle est encore très jeune. et que pour son mari, François de Barbezières, c’est le deuxième mariage. Il a lieu devant les notaires de Champagné-Saint-Hilaire Triault et Chauvigneau et la cérémonie religieuse est célébrée à Montigné en Charente. Dix ans plus tard, le 18 juin 1680, il marie au même lieu, son autre fille Jaquette à Marc Danyau, seigneur de Colombier.

François Berland est né vers 1600 et il exerce à Champagné-Saint-Hilaire, la fonction de Sénéchal de la châtellenie, c’est-à-dire qu’il est pourvu par les chanoines de Saint-Hilaire-le-Grand de Poitiers de toutes les responsabilités judiciaires. Il épouse Marguerite Robin née en 1635 qui lui donne une fille Gabrielle. Le 23 décembre 1652, il marie Gabrielle à Louis Desmier, seigneur du Roc, capitaine puis lieutenant-colonel et qui prendra le titre de seigneur de la Carlière à la mort de son beau-père. Les Berland sont puissants dans la châtellenie de Champagné-Saint-Hilaire et ils vivent dans ce qu’on appelle aujourd’hui le Vieux Logis au centre bourg sur la route de Gençay. Le logis principal était flanqué d’une tour ronde, comportait une cheminée datant de Louis XIV et disposait d’un vaste bâtiment servant de cellier. On l’a enterré le 14 janvier 1680 à Champagné-Saint-Hilaire.


Louis Desmier fait entrer Champagné-Saint-Hilaire comme résidence d’une des innombrables branches de la grande famille Desmier et dans les coulisses de la grande histoire de l’Europe. Voici comment : Alexandre Desmier d’Olbreuse est le propriétaire du château d’Usseau à l’ouest des Deux Sèvres. De ses deux mariages il a six enfants, mais tous meurent sans héritier à l’exception d’Eléonore. Protestante, celle-ci  séjourne en Allemagne où elle finit par épouser le duc de Lunebourg. A sa mort en 1722, elle laisse Olbreuse à sa fille Sophie Dorothée qui épouse George de Hanovre, lequel devient roi d’Angleterre. Le couple a deux enfants : le fils devient Georges II, la fille Sophie Dorothée devient reine de Prusse. Ces deux souverains n’ont pas de sang venu directement de la Carlière de Champagné-Saint-Hilaire, mais ils ont du sang d’Olbreuse. Or, la généalogie d’Olbreuse s’est asséchée à la fin du XVIIIe siècle et  Louis René Sylvain Desmier de la Carlière, qui est de la quatrième génération après Louis, devient le seul qui puisse porter le titre de Desmier d’Olbreuse et c’est sous ce titre qu’il est enterré.


En dessous du Vieux Logis, au lieudit Lépinoux s’élevait une résidence noble dont il ne reste que des murets bordant la route de Gençay. C’est celle, à Champagné-Saint-Hilaire, des Dancel de Bruneval jusqu’à la Révolution.  C’est une vieille famille de Basse Normandie qui donne à Poitiers au milieu de XVIIIe siècle un vicaire général à l’évêque de Poitiers (Amable) et un officier de l’escadron de Boisragon (son frère Jean Baptiste). Celui-ci, en épousant vers 1755 Marie Thérèse Frère de Villeneuve, fille d’Isaac, Seigneur de Lépinoux  hérite de cette terre.

De Lépinoux, un chemin conduit à Lussabeau qui a gardé aujourd’hui son château du XVIe siècle, rénové après avoir été transformé en écurie un moment. La date de 1582 inscrite  sur la clef de voûte de l’entrée et les sculptures  comme les fenêtres le classent sans difficulté comme un château de la Renaissance. Durant quatre générations il a été la propriété des Touzalin, un patronyme poitevin qui viendrait de touselle, un blé sans barbe, et une famille qui est champagnoise depuis le mariage de Sébastien avec Catherine du Pré en 1589, et noble depuis l’anoblissement par Louis XIV en 1660 de René, fils de Sébastien. René a pu ajouter à son titre de seigneur de Tampenoux, celui de seigneur de Lussabeau par achat à Bonaventure Dreux, seigneur de la Brémaudière (Magné dans les Deux-Sèvres). Ces indications nous ont été données par M. Henri de Touzalin dans les années 2000, procureur honoraire à la Cour d’Appel de Versailles.

Une de Touzalin, Renée Radegonde, fille de Charles épouse en 1767 Louis Danché, seigneur de la Guerinière (Noirmoutier). 

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http://jm.ouvrard.pagesperso-orange.fr/armor/fami/d/dexmier_1.htm

Le blason des Touzalin : De sable à la fasce ondée d’argent soutenant en chef un lion passant armé et lampassé de même d’acc en pointe d’un chevron renversé d’argent à la croisette de même en abîme.


Louis Danché se marie par contrat à Champagné st Hilaire le 10 novembre 1767 à Demoiselle Renée Radegonde de Touzalin, fille de Charles de Touzalin  Ec. Sgr de Lussabeau, chevalier de St Louis, et de Demoiselle Marie Anne Grolleau. Louis Danché est le fils de Claude Danché écuyer seigneur de la Chaise Guerinière (commune de Praille, pays huguenot 79 actuel) et de dame Marie Anne Barré.

Mais depuis son mariage au moins, il est résident à Champagné-Saint-Hilaire, même s’il baptise son premier fils Charles Henri l’année d’après son mariage dans son pays d’origine Il est  installé au hameau de Bretagne, où il est propriétaire d’une métairie, peut-être par sa mère. Il aura à traiter avec le curé Gireuse, de l’époque,  pour éviter que leurs bêtes, faute de haies, aillent pacager sans respect de la propriété.

Mais est-il vraiment noble ? En principe, la noblesse est héréditaire et pourtant si on lui sert du Messire, on lui donne le seul titre d’écuyer. Cependant, à son inhumation le 13 septembre 1785, à Champagné-Saint-Hilaire, alors qu’il est veuf, toute la famille Touzalin est présente. Et aussi le cousin issu de germain François Gabriel de Blom seigneur de Maugué et même Claude, Vicomte de la Châtre, porteur d’un grand nom qui s’est illustré parmi les ecclésiastiques et les officiers, et qui sera élu pour participer aux Etats généraux de 1789.


Une autre famille noble, celle-là  très impliquée au XVIIIe siècle dans la vie publique de Champagné-Saint-Hilaire, est la famille de Marconnay, un nom très répandu qui a  passionné les généalogistes. Elle est établie au château de Boisbrault qui a vraisemblablement été  construit par Pierre Antoine décédé avant 1740. Trois dates gravées dans la pierre en effet ponctuent sa construction et son aménagement : 1640, 1701, 1738.

Le fils Henri Augustin est né à la fin du XVIIe siècle, en 1694 environ. Il épouse le 10 mai 1728  Françoise Marthe Ingrand dans l’église Ste Opportune de Poitiers. Il est alors Juge Sénéchal de la châtellenie de Champagné-Saint-Hilaire, c’est-à-dire qu’au nom des Chanoines de Saint Hilaire le Grand il exerce la justice pour vols, coups, meurtres, il vérifie les poids et mesures lors des foires, il assure la sécurité dans ce qui est une petite ville à l’époque, avec artisans, commerçants, notaires, procureur fiscal.

Il décède le 3 novembre 1760, il est enterré dans la chapelle Saint-Nicolas et son fils Charles François lui succède comme sénéchal  jusqu’à sa mort en 1785.

La famille Jouslard, elle, est moins impliquée dans la vie de Champagné et pourtant durant deux siècles elle porta le titre de seigneur de Fontmort, si l’on en croit Messieurs François de Lauzon et Venault de Bourleuf qui précisent dans l’histoire d’Anché : « On imagine les propriétaires de Villenon se liant avec les d’Anché devenus huguenots […] ; tout comme ils se lièrent à une autre famille huguenote, les Jouslard  des XVIIe et XVIIIe siècles, propriétaires de Fontmort, une gentilhommière qui se trouve entre Anché et Champagné-Saint-Hilaire. »  

René est marié en 1658 à Aymée le Valois de Vilette qui par sa mère, est une petite fille d’Agrippa d’Aubigné, homme de guerre et écrivain protestant, et une cousine de Madame de Maintenon., seconde femme de Louis XIV. A la fin du XVIIe siècle, un Jean Baptiste Jouslard a des enfants dont le tuteur est Jérôme Finis, seigneur de Bellemaison . En février 1698 un Joseph de Jouslard, président de l’Election de Niort participe à la fête du corps de la ville célébrée en l’honneur de la paix de Ryswick qui donne l’Alsace à la France et rend la souveraineté à la Lorraine. Il meurt en 1705  à l’âge de 83 ans.


À Bois-Vert, la présence des Montsorbier est encore visible sous la forme d’un blason de pierre retrouvé par le propriétaire actuel de la maison, Pierre Rossignol. Il est  semblable à celui de Catherine de Montsorbier  présenté en couleur sur l’armorial du Poitou de d’Hozier.  La généalogie des Montsorbier traverse l’histoire du XIIe au XIX e siècle et s’étend sur tout l’ouest de la France. Et comme son patronyme nous pousse à le croire, elle est issue sans doute d’un lieu où poussait le sorbier, un arbre sacré chez les Celtes qui protégeait le bétail de la foudre et qui chassait les mauvais esprits.  Ce lieu lit-on dans les Actes royaux du Poitou « était un ancien fief relevant de Gençay »

Le plus ancien Montsorbier de Boisvert inscrit dans des actes est Jean, qui épouse Françoise de Mézieux née au château de la famille blasonnée de Ceaux en Couhé’, mais le Montsorbier de Boisvert dont la biographie est peut-être la plus originale est  François qui a vécu entre 1650 et 1700. Le 10 décembre 1667, il est confirmé dans son état de noble. C’est, sans doute grâce à la fille d’un notaire, Geneviève Roignon qu’il épouse par contrat le 27 mai 1654 qu’il devient  un gros propriétaire. Il  annonce en 1658 plus de 17 prévendrées et 63 boisselées de terres couvertes de prés, de bois, de vignes, de cultures (65 ha) et tous les bâtiments d’une métairie. Il a perdu son premier fils Antoine à quatre ans, mais il a poussé le suivant Mathurin vers les armées navales de Louis XIV comme enseigne de vaisseau. C’est lui qui à son retour du service au roi a fait établir l’inventaire des meubles de ses parents qui avaient été confisqués par le Fermier Général de Champagné-Saint-Hilaire.

Isaac Pain est signalé seigneur de Grandchamp en 1743, alors qu’un siècle et demi auparavant, le 5 juin 1584, ce titre est porté par François du Val puis par du Pain.  C’est bien du Grandchamp de Champagné-Saint-Hilaire  dont il s’agit puisque ce jour-là, a été  enregistré le mariage de sa fille Jeanne du Val de Grandchamp avec Antoine du Pin seigneur de la Guérivière (Courgé 79). C’est sans doute à cette occasion que ce fief s’allie aux Darcemalle et aux Pin (ou Pain) et à un degré de noblesse élevé puisque François du Val fait partie du ban des nobles du Poitou en 1557 et il est gentilhomme de la chambre du duc d’Alençon, frère du roi Henri III. François du Val semble ne pas avoir eu d’autre descendant que sa fille Jeanne mais comme celle-ci donne quatre enfants à son mari, sa descendance « grouille » de titres. Pas de du Val, mais des du Pin, des d’Arcemalle, des Rechignevoisin de Guron, et des Tercier de Beauregard.  

Le dernier noble de la monarchie à s’installer à Champagné-Saint-Hilaire est sans doute Antoine Claude  Rambaud de Barollon. Il est né à Paris, paroisse de St Jacques du Haut-Pas en 1713, et il est passé au Canada en 1735 où il est devenu capitaine dans les troupes des colonies. Il épouse  le 12 mai 1757 à Montréal, Marie Catherine, 27 ans plus jeune que lui,  fille de Louis Adrien Dandonneau, sieur Dusablé, officier dans les troupes du détachement de la marine  de la Nouvelle France et propriétaire dans l’Ile du Pas, à 80 km de Montréal. Pour obtenir la Croix de Saint-Louis, il rappelle à la fin de sa carrière ses 35 années d’états de service  (21 affaires, un siège, et deux blessures), et  les jugements de ceux sous les ordres desquels il a servi : il a montré du zèle, de la valeur et de l’intelligence dans toutes les occasions où ils l’ont employé. Par ordonnance du 24 mars 1762, Antoine Claude  est réformé des troupes du Canada et jouit d’un traitement de 600 £. Grâce à des connaissances dans la noblesse poitevine, il peut acheter la propriété de Fontmort à Champagné-Saint-Hilaire, et la famille s’y installe entre 1767 et le 15 juin 1769, date à laquelle son quatrième enfant, Paul Charles y est baptisé.  Le parrain est Charles François de Marconnay, sénéchal de la châtellenie et la marraine Marie Radegonde Le Coq de la Voûte.

Selon l’historien Gabriel  Debien il occupe notamment son temps  à transformer «  tous les jardins, le clos, la garenne à conils par de petits défrichements. L’entreprise s’est poursuivie de 1771 à 1785…Des petits défrichés autour du château rentrent (ainsi) dans le plan de présentation du logis ». Lui qui rentre d’un pays neuf de pionniers, il est normal qu’il participe à ce puissant élan qui pousse bon nombre de nobles du Poitou de cette époque à prendre en charge l’amélioration du paysage autour de leurs châteaux, par des travaux rationnels.Il meurt à l'âge de 70 ans et il est inhumé le 24 octobre 1783 au cimetière de Champagné-Saint-Hilaire, le cimetière d'avant Napoléon dont il ne reste malheureusement plus de tombeau. Sa veuve Marie Catherine Dusablé reste à Fontmort avec trois enfants dont deux filles qu’elle marie le même jour du 26 avril 1790, à deux frères, les fils de Louis René Maron de Cerzé, de la paroisse de Saint-Pierre-d’Excideuil, où il est propriétaire du château de la Bonardelière et d’une carrière de marbre : Marie Josèphe Toussaint épouse à 30 ans Messire Philippe Auguste seigneur de la Grivaudie et Louise Radegonde à 23 ans Josep Hyacinthe François de Paule, seigneur de Villesèche.

 

 

A quoi peuvent bien servir les nobles ?

Ils sont souvent militaires

Comme partout ailleurs, le fils aîné au moins de toutes les familles nobles embrassait la carrière des armes. Pour certains, c’était même la « savonnette à vilain » par excellence, c’est-à-dire le moyen d’accéder aux privilèges : son sang contre son rang !  Ils « manœuvrent »  la hiérarchie pour obtenir le titre et la médaille si convoitée de l’ordre de Saint-Louis : c’est le cas de Jean Charles Touzalin et d’Antoine Claude Rambaud de Barollon.


Ils sont de gros propriétaires 

On peut estimer les terres des Montsorbier à 65 ha, tous les biens de Charles Henry Danché vendus le 27 fructidor an III (13 septembre 1795) sont estimés à 250 000 livres, le 28 ventôse an IV (18 mars 1796),  la vente du Moulin Neuf appartenant aux de Marconnay à 17425 livres, plus tard le 5 juillet 1809, quand les francs sont en usage, la succession de feu Antoine Claude Rambaud de Barollon comportera 68 ha de terres et prés, et sera adjugée en quatre lots pour une valeur totale de 7500 francs. Si de nombreux nobles en difficultés à la fin du XVIIIe siècle pratiquent le faire-valoir direct, c’est dans le voisinage de leur demeure. L’essentiel de leurs terres est assez dispersé sur le terroir de la seigneurie et son exploitation est en fermage ou surtout métayage. Les nobles restent des rentiers de la terre.

Constructeurs ou propriétaires d’un château, ils ont consacré une partie de leur fortune à dresser un patrimoine architectural intéressant, encore debout malgré les guerres. Et déchargés du travail quotidien, ils ont du temps à consacrer aux relations qui dépassent, en raison souvent de leurs origines, le cadre de la châtellenie. Ainsi de Paris, Dusablé envoie le 22 décembre 1788 à Champagné-Saint-Hilaire, une lettre qui se termine ainsi : « Les ducs et pairs demandent que leurs terres soient imposées comme celles du tiers-Etat. On ne doute pas qu'un aussi bel exemple ne soit suivi par le corps de la noblesse aux Etats-généraux. Ce sera chose juste et bien avantageux pour le royaume et pour les malheureux. »  Il ajoute un détail qui authentifierait cette lettre, s'il le fallait : « Le Roy d'Espagne est mort »  »  Effectivement Charles III, le roi d'Espagne qui a perdu Gibraltar au profit de l'Angleterre, meurt le 14 décembre 1788. Huit jours après seulement, des Champagnois sont au courant.


Les nobles forment un monde un peu fermé

Ils ne sont pas les seuls à se donner des blasons, mais tous ou presque en ont un. Certains se choisissent aussi une devise. C’est le cas des hôtes de Grandchamp qui ont laissé cette superbe sculpture et l’extrait de la Bible en latin : QUI TIMET DEUM FACIET BONA qui peut se traduire par

                                 « Qui craint Dieu agit bien »


Plusieurs demeures nobles ont résisté aux temps et par respect pour l’intimité de leurs hôtes ne seront pas « visitées » ici. Disons qu’elles se singularisent au milieu du bâti de la seigneurie par leur situation au milieu d’un parc, par un portail donnant accès à une cour, par leur taille imposante, par leur toit couvert d’ardoises, et bien souvent par des tours.


Les de Touzalin sont un exemple de généalogie où la filiation masculine est régulièrement  assurée durant au moins quatre générations. Cette filiation est marquée par le prénom du père joint à ceux de chacun de ses fils. Ainsi Charles a trois fils : Charles Henri, Jean Charles et Charles Rémi Eustache, et ce dernier désignera ses deux fils par Henri Rémy et Jean Charles Rémy.

C’est grâce aux armes que René Touzalin est devenu noble, c’est par les armes que ses descendants trouvent leur raison d’exister : les trois frères ayant vécu sous Louis XVI ont été respectivement Commandant du bataillon de milice de Poitiers et capitaines d’infanterie.     

Le droit d’aînesse est en usage chez les d’Arcemale. Le 25 octobre 1688, Henri, l’aîné des cinq fils de Louis d’Arcemale (Henri, Baptiste, Adam, Louis et un autre Baptiste) obtient les préciputs et les avantages de la Coutume, c’est à dire la promesse d’une part privilégiée et décomptée de l’ensemble de l’héritage parental.           Ces enfants de nobles reçoivent une instruction sérieuse. La preuve est donnée par les registres paroissiaux qui signalent le 12 septembre 1779 le décès de Pierre Chabanne , « natif à ce qu'on dit de Meaux en Brie » et « qui avait été élevé à Paris, en son vivant maître d'école».  Il venait de passer un an chez « messire Louis Danché, sieur de Bretagne » comme précepteur.

S’il arrive qu’un noble épouse une fille de la bourgeoisie, le mariage entre nobles est le plus courant.  Antoine Claude Rambault de Barallon a épousé une du Sablé. Novembre 1754 a  connu deux grands mariages : le mardi 26, François André Babaud de la Picaudière de la paroisse de la Chandeleur de Poitiers épouse Marie Marthe Catherine de Marconnay, fille majeure des Marconnay de Boisbrault. Le Lendemain, c'est le mariage  entre René Desmier de la Carlière et  Marie Chitton.du Chilloc.  Celui-ci rassemble la fine fleur de la noblesse champagnoise : il y a deux Touzalin de Lussabeau, les Beauregard, les Le Bossu, il y a Chollet des Ages, et les Cousins Desmiers du Montet.  En 1789, Radegonde Félicité de Touzalin épouse Charles René Ague de la Voûte et de Coutant. D’autres exemples ont été donnés.

Un fait divers qui entamerait aujourd’hui une série policière à la télévision est venu troubler les mariages des 26 et 27 novembre 1754. Il est signalé par le Curé Martin qui ne peut pas avoir, hélas, la précision d’un journaliste : “le 27 novembre 1754, sépulture de Henri de Marconnay, 23 ans, qu'on a trouvé mort sur la rivière du Clain, y ayant passé en bateau, en revenant de Chaulme de chez Madame de la Bouleur

Il s’agit plutôt d’une demoiselle qui portait le triple prénom de Marguerite Suzanne Tranquille, fille de François Philippe de Fricon, seigneur de la Bouleur de Couhé et de Suzanne Marguerite Bellet de Champagné-Saint-Hilaire. Henri de Marconnay, sans doute de la noce en tant que cousin de la mariée, avait 250 mètres à descendre le Clain en barque pour rentrer de sa visite à cette jeune femme. Gardons à sa mort, dont on peut être sûr que ce n’est pas par noyade, le souvenir tragique d’une énigme.

La disparition des nobles champagnois

Les registres paroissiaux de Champagné-Saint-Hilaire sont émaillés de ces inhumations, mariages et baptêmes de nobles. On ne les distingue que par le nombre important de signatures qui témoignent. Mais la Révolution que la noblesse avait pourtant bien commencée en se privant de ses droits féodaux va se tourner contre elle et contre le roi.

L'émigration lancée par le frère de Louis XVI dès le surlendemain de la prise de la Bastille s'intensifie en 1790. Avec la proclamation de la République le 22 septembre 1792, beaucoup de nobles militaires, fidèles à la Royauté s'enfuient.   

A Champagné-Saint-Hilaire, Louis René Sylvain Desmier, seigneur de la Carlière part le premier, en 1791. Il est âgé de 35 ans, il est capitaine de dragons au Régiment du Roi, il va être intégré à l’Armée Royale, opposée bien sûr à la République, puis passer en Angleterre dans le Régiment de Mortemart. La même année émigre Henri Rémy de Touzalin S’en vont ensuite les Marconnay de Boisbrault, Dancel Bruneval le 14 novembre 1792, qui laisse sa sœur copropriétaire à Lépinoux, le gendre de Charles Rémi Touzalin, Ague de la Voûte, les deux Maron de la Bonnardelière, gendre de la veuve de Barollon de Fontmort, Danché de Bretagne. C’est une hémorragie !  

Ils laissent dans l’embarras leurs fermiers, et leurs familles soumises au séquestre de leurs biens, puis à leur vente. Et beaucoup ne retrouveront pas Champagné-Saint-Hilaire.

Louis René Sylvain Desmiers meurt en Angleterre où il est inhumé au cimetière d’Eling à l’ouest de Southampton, le 30 octobre 1802. Son fils né en 1795, ne rentre en France qu’en 1816 mais pas à Champagné-Saint-Hilaire.

Henri Rémy de Touzalin meurt à Ettenheim en Allemagne où il est enterré le 22 janvier 1794. Charles René  Ague officier au Régiment d’Anjou meurt le mardi 24 septembre 1793 de blessures contractées à la bataille de Montaigu en Vendée.


Conclusion

Être noble aujourd’hui c’est faire preuve de qualités humaines comme la dignité, la générosité, la moralité, la grandeur d’âme. Ce n’est plus appartenir à une classe privilégiée grâce à sa naissance ou à sa fonction. La Révolution de 1789 n’a pas fait passer d’un seul coup,  la noblesse d’une définition à l’autre, mais à partir de 1792 elle a fait disparaître les nobles de Champagné-Saint-Hilaire, enfuis à l’étranger, ou morts à la bataille et elle a privé les non-résidents de leurs biens fonciers. Ils ont pu être au temps de Napoléon 1er supplantés par la noblesse impériale. Le général Olivier Macoux Rivaud de la Raffinière (1766-1839) célébré au musée de Brux, disposait des revenus de deux terres du Poitou pour une valeur totale de 12 000 livres, dont celle de 85 ha sur le terroir de Champagné-Saint-Hilaire.

Avec la noblesse sont disparus aussi de Champagné-Saint-Hilaire les serviteurs de l’Etat et de la Châtellenie- sénéchal, capitaines, procureurs, notaires- et notre localité qui est devenue une commune, a perdu les attributs d’une petite ville pour entrer dans le rang de la ruralité. 

La noblesse est disparue par la Révolution, les Nobles de Champagné sont disparus en fuyant, certes pour échapper souvent à la guillotine fourbie par les lois de la Terreur, mais aussi parce qu’ils n’ont pas adhéré au nouvel ordre de la République Française. Le marquis de La Fayette fut un exemple de Noble qui a su composer avec le nouveau régime.  

 

Merci aux Archives Départementales de la Vienne, à Geneanet, à Internet


Louis VIBRAC