La bataille du 13 août 1944

TREIZE AOUT 2011

Continuons le martyrologe champagnois de la Guerre 39/45. Après les morts des combats de 40 et de la déportation, après les victimes champagnoises du 13 août 44, voilà les tués dans les combats de la villa du haras.

Cette stèle érigée en 1945 porte dix noms. Chaque année, les personnalités locales, les anciens maquisards, les habitants de Champagné viennent commémorer la mort de ces combattants pour la libération de la France. Mais en faire uniquement des victimes de cette guerre nécessaire contre les Nazis, revient à limiter leur existence à un sacrifice héroïque. Aux temps où leurs compagnons vivants pouvaient témoigner, il était possible de connaître leur personnalité, leur vécu, leurs motivations. Le risque aujourd'hui est que ces inscriptions dans la pierre ne soient plus que des noms, pas des évocations. Heureusement, les récits comme ceux de Jean Coste et les actes de décès inscrits dans les registres d'Etat-Civil de la commune de Champagné-Saint-Hilaire donnent de courtes, mais d'utiles mentions de ce qu'ils ont été, avant de mourir ici, par un chaud dimanche du mois d'août

On les honore ensemble à juste titre car ils ont succombé dans le même combat, avec le même idéal, avec le même courage, mais je vous propose de les honorer aussi chacun à leur tour.

 

Le premier tué est sans doute Fernand SCHIMCHELEVITZ, à côté de Franck Lacourarie.

Né à Paris, il était employé des chemins de fer et habitait à Choisy-le- Roi. Son nom et son ascendance montre qu'il était juif : son père était Elie Schimchélévitz et sa mère, décédée à ce moment, était Eva Gold. Il avait épousé Madeleine Julienne Bénéteau et il se trouve dans le Poitou en 1944 sans doute pour fuir la déportation.

Il meurt dans le chemin qui descend de Bretagne vers la villa. Il est peut-être 10 heures ? Il n'aurait jamais dû être là car il faisait partie du groupe de Charroux, affecté sur la route de Gençay. Mais au petit matin, alors qu'il est avec Audoin sur la place de Champagné, il dit : « Je vais aller voir les gars de Joussé, ils me semblent assez inexpérimentés. Je les renforcerai si nécessaire ! » Le 13 août 1944, il venait d'avoir 32 ans depuis un mois et demi et il était un ancien pour les jeunes de 20 ans.

 

Vers 11 heures, le Lieutenant Fricaud est blessé à l'épaule et à la cuisse gauche. On mettrait les deux poings dans sa plaie. Resté dans l'angle de tir des soldats allemands, il doit être transporté. Un groupe courageux s'y emploie et réussit. Mais ce sauvetage a coûté très cher aux maquisards : Louis Douteau est tué avec le bazooka sur le dos. Busson subit le même sort quelques mètres plus loin, au pied d'un arbre.

Louis DOUTEAU est du coin. Il est né à Couhé le 6 août 1920 et il a donc pu fêter son 24 e anniversaire quelques jours avant avec ses copains du maquis D3 à Joussé. Il est le fils de Joseph Louis Douteau, menuisier à Couhé et de Marie Ardillon. Il est célibataire et sans profession déclarée.

Fernand André Alexis BUSSON est normand d'origine puisqu'il est né à Caen le 9 juillet 1924. Il devient ajusteur et, avant la guerre il est domicilié chez ses parents à Nantes. En 44 il est replié à Joussé où il entre au maquis D3 le 24 juillet.

 

Trois trouvent la mort au moment de midi.

Pierre MARTIN est aussi de la région de Champagné. Il est né à Château-Garnier le 3 décembre 1922 et il n'a donc pas encore 22 ans. Il vit et travaille avec ses parents agriculteurs à Asnois. Le 13 août, il fait partie du groupe Bernuchon qui attaque la villa par la route de Vivonne. Il porte un fusil-mitrailleur, mais celui-ci s'enraie et de tireur, il devient une cible. Le fusil mitrailleur allemand le blesse à mort.

 

Jacques Abel FLORENTIN est d'origine deux-sévrienne puisqu'il est né à Prahecq près de Niort, mais il vit à Poitiers avec sa mère qui est veuve, 4 Place de la Liberté. Quelle adresse de circonstance, lui qui meurt pour conquérir la liberté de la France ! C'est le plus jeune des victimes du 13 août 1944 puisqu'il meurt 12 jours avant de fêter ses 20 ans.

Le groupe du sergent Bernard combat toujours dans les fossés, face à l'ouest de la villa. Ils criblent de balles les volets métalliques. Florentin qui s'abrite derrière un socle en ciment est repéré. Pour être mieux dissimulé, il cherche à trouver refuge derrière un arbre, tout en tirant une rafale. Soudain, il s'effondre, atteint par une balle en plein front.

La guerre ne lui aura pas permis de terminer ses études universitaires.

 

Raymond Prosper POLET n'a guère que deux ans de plus que lui, mais il est employé des Ponts-et-Chaussées. C'est un Lorrain, né à Pont-à-Mousson, fils de Albert Julien Polet et de Augustine Clémentine Lecarpentier. Il habitait avant la guerre à Jezainville par Pont-à-Mousson, mais il a été évacué à Pleuville en Charente.

Vers 11 h 30, Etienne tente de faire ramper ses hommes dans les fossés, jusqu'au nord de la villa pour renforcer le groupe Bernuchon. Mais ils sont stoppés par la menace ennemie des grenades et des rafales d'un F.M. Le sergent Polet, de la 1ère section, se fait alors faucher par une balle en plein front.

 

Une heure plus tard c'est Pierre GODET au grade de Sergent-Chef qui s'écroule. Il est venu de Vouillé-les-Marais où il a quitté sa femme Carmen Huguette Yvonne Roy. Il a vécu 18 jours de plus que Schimchéléwitz puisqu'il est né le 11 juin 1912. Sa ville natale de Chaillé-les-Marais lui a dédié une place.

 

Trois cas sont particuliers

FAKO Kamara est signalé comme étant tué vers 14 heures, mais ce doit être plus tôt ! C'est un cas singulier puisqu'il faisait partie de ceux qu'on a l'habitude d'appeler les prisonniers sénégalais. Terme générique en fait pour désigner tous les combattants venus des Colonies. Car Kamara FAKO est en fait un Guinéen. Il est « âgé d'environ 31 ans » dit son acte de décès car les Indigènes étaient plus ou moins bien enregistrés dans les colonies. Il venait de cette riche région du Fouta-Djalon où il habitait à Soukouldou dans le cercle de Kissidougou et avait une femme du nom de Mablo Traoré. Kamara, Traoré, ce sont des noms ou prénoms fréquents en Afrique tropicale. Je note qu'il est le seul des 13 morts enregistrés le 13 août qui n'ait pas reçu, sur le Registre, la mention « Mort pour la France ».

 

L'enregistrement du décès de Georges Hubert MARIUS a posé problème car personne n'était en mesure de l'identifier. Est-ce lui qui est inscrit dans la liste du D3 sous le nom de Georges HUBERT le 31 juillet ? Au soir du 13 août, il est considéré comme un inconnu et cela nous vaut de savoir combien les troupes de maquisards compensaient le manque d'organisation militaire par l'ardeur au combat.

Il  portait un chandail rouge et une chemise bleue, un pantalon à rayures gris et des chaussettes marron ». C'est à dire qu'on est loin des tenues de camouflage ! Ce n'est que le 3 mai 1947 qu'un jugement remplacera le terme « inconnu » par MARIUS Georges Hubert, né à Sarcé dans la Sarthe le 9 septembre 1920.

 

Reste le cas de Amand ROBERT. Il est le seul des 13 tués français à ne pas être mort à Champagné. Il fait partie du groupe Etienne (Etienne Saby) qui veut forcer la décision vers 14 heures et c'est dans un de ces assauts qu'il est grièvement blessé. Il est enrôlé au D3 depuis le 3 juillet 1944 et c'est au café restaurant de Joussé qu'il est replié et qu'il meurt, dans les bras de Mitsou. Sa mort a inspiré à Jean Coste un poème émouvant dont il faut lire la dernière strophe :

J'emporte, caché sous la paille

Un Français, mon fils, au dédain

Des S.S., de la gestapo !

Mais que sa pauvre tête inerte

Ne heurte pas le tombereau.

Evitez les trous, les cahots,

La route est maintenant déserte

La mère attend votre fardeau

Avec ses pleurs et ses sanglots. »

 

Tout est dit et bien dit : la peine du père teintée de fierté, la menace permanente des forces nazies, la compassion pour le blessé, la douleur de la maman.

Pensons à toutes ces 13 mères ou femmes qui ont pleuré leur fils ou leur mari, venus d'un peu partout mais tués ici, à Champagné, pour faire cesser cette oppression mise en place en 1940. Mais n'oublions pas celles qui allaient vivre dans l'angoisse jusqu'en mai ou juin 1945, jusqu'à la libération de la soixantaine de prisonniers de guerre, de déportés ou de STO.

Et surtout, méditons sur les origines de cette deuxième guerre mondiale, et sur les autres guerres pour contribuer en tant que citoyen du monde, à militer contre toute entrée en guerre afin d'éviter de se tuer à terminer celle-ci.

 

Texte de Louis Vibrac habitant à Limes 86160 Champagné-Saint-Hilaire 13 Août 2011